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Saint Philarète de Moscou

SERMON POUR LA CONSECRATION DU TEMPLE DE LA PROTECTION DE LA TRES- SAINTE MERE DE DIEU (dans l’édifice de la prison principale de Moscou) 18 septembre 1852

 

« Jésus se tenait debout, et appelait en disant : Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi et qu’il boive. » Jean vii, 37

Au milieu du temple de Jérusalem se tenait le Christ Sauveur, et, à la foule qui le remplissait a l’occasion d’une grande fête, il  répétait à haute voix cette invitation : Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi et qu’il boive. Qui ne ressentirait la soif à cette invitation, si déjà il ne la ressentait auparavant ? Qui ne désirerait s’approcher du Christ et goûter le breuvage qu’il présente?

Pourquoi un zèle pieux s’est-il donné la peine de bien construire et de bien orner ce temple ? Pourquoi l’Autorité ecclésiastique s’est elle empresser de le consacrer par la prière et la célébration des mystères? N’est-ce pas pour qu’il soit la Maison de Dieu, la demeure de la présence bienheureuse de Jésus-Christ? pour qu’il soit possible de s’approcher ici de Jésus-Christ et de participer a ses dons ?

Et ainsi, du moment où a été proclamée l’entrée ici du roi de gloire, le Christ Sauveur n’y est-il pas venu en effet? Ne se tient-il pas debout invisiblement ? Ne répète-t-il pas aux âmes, intelligiblement pour celles qui ont des oreilles pour entendre, inintelligiblement pour les cœurs endurcis – ne répète-t-il pas  ici aussi son invitation de Jérusalem: Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi et qu’il boive ?

Si quelqu’un a soif. Il s’agit, évidemment, non de la soif corporelle, pour l’étanchement de laquelle il y a assez de fleuves, de sources et de réservoirs, et par conséquent il n’est besoin d’une indication extraordinaire pour montrer ou l’aller étancher. Ainsi donc, il faut conclure qu’il s’agit de la soif de l’âme, des désirs du cœur, que rien n’a pu calmer au-dedans ni satisfaire du dehors.

Si quelqu’un a soif. Cette expression conditionnelle et faisant une distinction donne lieu de penser qu’il y a des gens altérés, et qu’il y en a qui n’ont pas soif, ou dont le sens engourdi ne la ressent pas assez, ou qui l’éteignent par une satisfaction trompeuse. Sous ce rapport il nous faut nous éprouver pour savoir dans quelle Situation nous nous trouvons et ce que nous avons a faire pour ne pas mourir d’une soif inassouvie ou d’un étanchement erroné et nuisible.

Notre esprit a besoin de la connaissance de la vérité. C’est sa faim et sa soif, – exigence de la nature tout comme l’exigence de la nourriture et de la boisson par le corps. Quoi donc? La nature satisfait-elle les exigences de la nature raisonnable? I1 y a des gens auxquels il n’est pas aisé même de demander cela, parce que chez eux, ce qui est actif, ce sont les sens, la mémoire, l’imagination, le désir sensitif ; mais l’esprit proprement dit dort ou sommeille, et ils ne ressent pas, ou bien ils ressentent très faiblement ce qu’il demande, et ce qui lui manque. Interrogeons des gens dont l’esprit semble éveille, qui se disent civilises, quelque chose comme des Athéniens. L’Apôtre, qui les a observes personnellement, nous répond pour eux qu’ils n’étaient occupes de rien, autre que de dire ou de l’entendre quelque chose de nouveau (Act., xvii, 21). Qu’est-ce que cela signifie? – C’est que, pour l’étanchement de la soif de leur curiosité, ils ne pouvaient ou ne savaient trouver rien de plus que quelques gouttes de nouveautés qui laissaient toujours leur soif inassouvie. Interrogeons des hommes plus solides, les investigateurs de la science: interrogeons les gens adonnes a la philosophie. L’un d’entre eux, des plus dignes de confiance, a avoue que, par tous ses efforts dans les études de la philosophie, il avait atteint qu’a une seule connaissance: – il avait reconnu qu’il ne savait rien. C’est-à-dire : il avait reconnu qu’il avait soif, et il n’avait pas trouvé de quoi satisfaire cette soif. Interrogeons un autre investigateur encore plus digne de confiance; écoutons ce que dit le très-sage Salomon : J’ai adonné mon cœur à connaître la sagesse et la science ; et mon cœur a vu beaucoup de choses, la sagesse et la science, des paraboles et des finesses ; j’ai reconnu que cela aussi est affliction d’esprit. Parce que dans l’abondance de sagesse il y a abondance de dépit ; et celui qui multiplie la science multiplie la douleur (Eccl. i, 17-18).

Pour autrement dire : Celui qui est le plus avide de satisfaire sa soif de science, celui-la souffre le plus da la soif ; c’est que plus l’homme sait, plus il voit combien ce qu’il sait est insignifiant en comparaison de ce qu’il ne sait pas et de ce qui est interdit à la science.

Notre volonté, par sa nature, a soif du bien et de la justice. L’homme trouvera-t-il  en lui-même la satisfaction complète de cette soif? – Non, répond le très-sage et expérimenté Salomon: Il n’y a point sur terre d’homme juste qui fasse le bien et ne pèche point (Eccl. vii,21).

La trouvera-t-il autour de lui? – Non, répond encore à cela Salomon: Je me suis tourné ailleurs, et j’ai vu toutes les calomnies qui sont sous le soleil, et voici les larmes de ceux qui sont calomniés, et il n’y a point pour eux de consolateur (Eccl., iv,1). Ce Salomon, qui de montra autrefois un prodige d’équité, voit qu’il n’est pas en son pouvoir de satisfaire complètement sa soif d’équité.

Le coeur humain a soif d’affection et d’amour. C’est encore une exigence de la nature, parce que la nature de l’homme a été créée à l’image de Dieu ; or Dieu est amour, a dit le chef des théologiens. Conservant les traits profondément graves de cette image, le cœur humain cherche un amour, sincère, désintéressé, immuable, unissant librement les âmes et ne les asservissant pas, les élevant en esprit et ne las abaissant pas dans la sensualité, pur, saint; mais le trouvera-t-il? Ne rencontre-t-il pas plus souvent l’indifférence, la froideur ; sous le masque de l’amour, l’amour-propre ou l’intérêt-propre, la perfidie, la jalousie, la haine, l’animosité? Et quelques-uns, ou ne comprenant pas les hautes exigences de leur coeur, ou désespérant de les satisfaire, ravalent le saint nom de l’amour, donnant le nom d’amour aux désirs sensuels, à des appétits qui ne mettent en rien l’homme au-dessus de leur tête; et ils s’imaginent satisfaire cette soif malsaine a la coupe des délices impures,et ils reconnaissent trop tard qu’ils ont bu un breuvage, non pas sain, mais mystifiant et délétère.

Tout être humain est altéré de félicité. Et ce n’est pas là une exigence exagérée. Si l’agneau au pâturage, bondit dans ses sensations de contentement et de plaisir ; si l’oiseau, sur la branche, chante sa joie et son bien-être, la nature humaine, plus élevée, ne doit-elle pas exiger plus que ce qui est accorde à la brebis et à l’oiseau ? Ne doit-elle pas exiger le bonheur? Et où est-il? Nous avons entendu dire qu’il était au Paradis; mais qui l’a trouve sur la terre, dans la vie naturelle de l’homme terrestre ? Pour que l’homme pût être heureux, il faudrait que la soif de son esprit fût satisfaite par la vérité, la soif de sa volonté – par le bien et la justice, la soif de son coeur – par l’amour pur; mais aussi longtemps que ces différentes soifs ne trouveront pas une pleine satisfaction, le bonheur ne pourra être pour lui qu’un objet de soif, et non de jouissance.

Apres ces reflexions, que dirons-nous de la condition de l’invitation de Jésus-Christ : Si quelqu’un a soif? Quelqu’un dira-t-il : Je n’ai pas soif? ou bien: J’ai de quoi étancher ma soif ? Ne vaut-il pas mieux avouer tous que nous sommes altérés, et que nous ne trouvons ni en nous-mêmes ce qui pourrait étancher notre soif, ni dans le monde qui nous entoure ce qui pourrait la satisfaire?

Si donc il en est ainsi, la saine raison exige que nous répondions le plus activement , le plus fidèlement possible à l’invitation de Jésus-Christ : Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi et qu’il boive.

Ainsi donc, venez à Jésus-Christ. Lui seul peut étancher votre soif de la vérité : car il est lui-même la Vérité ; en lui sont renfermés tous les trésors de sagesse et de raison (Col., ii, 3). Il vous appelle des ténèbres a sa lumière admirable: (l Pier., ii, 9).

Venez à Jésus-Christ. Lui seul peut satisfaire votre soif de bien et de justice, parce qu’il est l’agneau de Dieu, qui ôte les péchés du monde ; parce que c’est lui qui purifie par son sang notre conscience des œuvres mortes ; parce que c’est lui qui nous donnes les forces Divines qui sont pour la vie et la piété ; parce que c’est lui qui a vaincu le monde, et qu’il nous donne, a nous aussi, la victoire sur toute iniquité du monde.

Venez à Jésus-Christ. Lui seul peut étancher votre soif de véritable amour. C’est que nous l’aimons parce qu’il nous a aimés lui-même le premier (1 Jean, iv, 19). C’est que c’est lui qui donne l’Esprit-Saint, et que l’amour de Dieu se répand dans nos cœurs par l’Esprit-Saint (Rom., v, 5) – amour qui embrasse même les ennemis, et par conséquent n’est  restreint par rien qui lui soit contraire.

Venez à Jésus-Christ. Il étanchera même votre soif de bonheur, a la coupe inépuisable de la félicite éternelle. Ne vous troublez pas de ce que lui-même, un jour, dans ses souffrances mortelles, s’est écrié : J’ai soif; mais n’en soyez que plus fermes dans l’espérance. S’il a pris part à votre tourment de la soif, c’est pour que vous participiez en lui à la douceur de la satisfaction de la soif spirituelle.

Avancez-vous vers Jésus-Christ dans son Eglise. Approchez-vous de lui par la foi, la prière, l’amour. Buvez la lumière de la vérité et la vie de la grâce et de la justice, dans ses commandements, dans son Evangile, dans ses mystères.

Enfin, ne chercherons-nous pas une parole particulière pour étancher le genre particulier de soif de ceux qui habitent autour de ce temple ? Probablement, vous souffrez tous d’une même soif, – de la soif de votre délivrance. Que vous dirai-je donc ? Il n’est pas possible de satisfaire immédiatement votre soif de la manière que vous désireriez. Mais songez qu’il y a eu dans les prisons des gens qui ne souffraient pas, ou qui souffraient très peu de la soif de la délivrance. Joseph, dans la prison d’Egypte, en était comme le maître : car tout était dans les mains de Joseph (Gen., xxxix, 23) ; l’apôtre Pierre, dans la prison de Jérusalem, a la veille de sa condamnation a mort, reposait tranquillement, comme s’il avait être dans sa maison. Les apôtres Paul et Silas, dans la prison de Philippes, chantaient Dieu de toute leur âme, comme s’ils eussent été dans une église. Pourquoi cela ? – Parce qu’ils étaient innocents ; parce que Jésus-Christ était avec eux, ainsi qu’il est écrit nommément de Joseph : Le Seigneur était avec Joseph, répandant sur lui la miséricorde. Si même il se trouvait ici, parmi vous, des innocents qu’y auraient amenés les décrets de Dieu pour les éprouver, je leur dirais : Considérez ces exemples; ayez recours a Jésus-Christ, et espérez que le Seigneur sera avec vous, et que tôt ou tard il répandra sur vous la miséricorde. Mas si sur votre conscience pèse le poids d’une faute, alors jugez si ce serait même un bien pour vous qu’une délivrance prompte et facile de ces lieux. L’iniquité qui pèse sur votre conscience, et la soif de justice qui vous tourmente plus ou moins, ou le chagrin de la perte de l’honnêteté et de la vertu, sortiraient d’ici avec vous; et qui sait si vous n’étancheriez pas cette soif avec du feu au lieu  de l’eau, c’est-à-dire par de nouvelles iniquités plutôt que par le repentir, et si, de cette manière, votre soif, qui peut encore s’apaiser, ne se changerait pas a la fin en cette soif brûlante et inextinguible dans laquelle un homme qui n’avait pas cherche a boire de l’eau de la grâce dans le temps de sa vie terrestre, cherchait, au delà du tombeau, pour sa langue, un doigt mouillé dans l’eau, mais le cherchait en vain.

0ccupez-vous plutôt d’étancher, non la soif de la liberté extérieure, mais la soif de la délivrance intérieure des liens du péché et du crime. Ne laissez pas s’allumer en vous la soif brûlante du désespoir, mais, en l’éteignant par les larmes du repentir, courez à Jésus-Christ, qui attend de vous, non l’indifférence dans la profondeur du mal et du désespoir, mais le repentir et l’espérance. Car le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui avait péri .– Ainsi soit-il.