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L'Esprit compatissant - LE PÈRE DE TOUS

 

5. Le Père de tous

 

L’intellect, « visité » et « rempli » de l’Esprit Saint, s’est mis à la « recherche du Dieu-Logos » qui s’est « manifesté » à lui « dans l’état de la prière ». Par cette auto-révélation, il lui communique d’abord une « vision plus claire (phaneroteron) de la lumière » de Sa connaissance (M.c.15, 14 s.). Mais il ne s’arrête pas là car son désir est — de concert avec l’Esprit qui agit toujours avec Lui puisqu’ils ne sont jamais séparés (cf. Ep. Mel. 19 !) — de nous « révéler le Père caché » (cf. Mt 6, 6) et Créateur » (Ep. 19, 2), c’est-à-dire Celui qui est à la fois leur Cause « par la nature de son être », et le « “père de tous” (Eph. 4, 6, cf. in Prov. 30, 17 : G. 294, et 5, 18 : G.64) par grâce » (Ep. Mel. 25).

Voici donc l’homme « parvenu à la cause et le père des intelligibles, lequel apparaît (epiphainetai) au cœur » qui est devenu, par la grâce de l’Esprit Saint, libre de toute représentation mentale liée aux objets (Ep. 58, 3). C’est dans cet état (cf. Or. 54. 56-58), « l’état contemplatif" tel que « le veut le Saint-Esprit » (Ep. 58, 3 !), que l’intellect est enfin jugé digne de recevoir du Père « le don très glorieux de la prière » (Or. 70), qui s’avère ici n’être plus une activité purement humaine mais une participation à la vie des hypostases divines.

 

Si tu veux prier, tu as besoin de Dieu

qui “donne la prière à celui qui prie” (1 Rois 2, 9).

Invoque-Le donc en disant :

“Que Ton nom soit sanctifié,

que Ton Règne vienne” (Mt 6, 9. 10),

c’est-à-dire : Ton Saint-Esprit et Ton Fils Unique.

Car c’est ainsi que [le Seigneur te] l’a enseigné (cf. Jn 4, 23)

en disant qu’il faut “adorer le Père en Esprit et en Vérité”. (Or. 59)

 

« Si tu veux prier », c’est-à-dire selon saint Jean « vraiment »[12] et selon saint Paul « comme il faut » (hôs dei) (Or. 20. 49. 51. 54, cf. 24 ; cf. Rm 8, 26), « tu as besoin de Dieu » (theou chreia), puisque « nous ne savons pas prier comme il faut ». La prière n’est en effet pas un mouvement en sens unique qui partirait de l’homme qui en aurait donc l’initiative. « La prière est une conversatio (homilia) de l’intellect avec Dieu »[13] dont l’initiative appartient à Dieu et qui fait de l’homme « l’interlocuteur » (synhomilos) (Or. 4 ; cf. 3 : synhomilein) de Dieu. Or, pour pouvoir ainsi « parler à Dieu" (proshomilein) et se perdre dans sa compagnie » (Or. 34), ce qui advient précisément dans la « prière en Esprit et en Vérité », il faut tout d’abord être appelé par Dieu, comme jadis Moïse au buisson ardent (Or. 4, cf. Ex. 3, 2-5), puis « recevoir le don très glorieux de la prière » (Or. 70) que le Père ne « donne » cependant qu’à celui qui Le lui demande.

Mais ce n’est pas tout ! Il est certes vrai que « celui aime Dieu converse avec lui toujours comme avec un père » (Or. 55), et cependant ce n’est pas l’homme qui produit cet « encens » qui symbolise la prière (Apc. 5, 8). « L’amitié avec Dieu, autrement dit la charité parfaite et spirituelle » n’est que le « vase » qui contient cet « encens » que nous offrons à Dieu. C’est dans (en hê) la charité parfaite et spirituelle que « la prière agit (energeitai) en Esprit et en Vérité » (Or. 77) ou plus exactement: par (en) l’Esprit et par la Vérité, c’est-à-dire par l’intermédiaire de l’Esprit Saint et le Fils Unique du Père ! Car, répétons-le, selon l’apôtre « nous ne savons pas prier comme il faut », si nous sommes livrés à nous-mêmes. Mais « l’Esprit vient en aide à notre faiblesse » (Rm 8, 26) et c’est donc « par l’Esprit d’adoption filiale que nous crions : Abba, Père » ! (Rm 8, 15), c’est-à-dire que nous « nous osons dire » ce que, à proprement parler, ne peut dire que le Fils !

Que telle soit bien la pensée d’Évagre transparaît dans le chapitre suivant. Celui qui « prie vraiment » prie en « théologien » (Or. 61), ce qui signifie qu’il « adore le Père par son Esprit Saint et son Fils Unique » (Or. 59), autrement dit, « sans intermédiaire aucun » (mêdenos mesiteuontos) (Or. 3), créé, faut-il ajouter (Ep. Mel. 31). Car

 

Celui qui prie « par l’Esprit et la Vérité »

ne [puise] plus des créatures

la louange qu’il donne au Créateur,

mais c’est de Lui-même qu’il Le chante en hymnes. (Or. 60)

 

Le Saint-Esprit et le Fils Unique sont en effet « du Père » (ex autou), puisque eux seuls ne sont pas des créatures mais « consubstantiels au Père ». Et c’est cela que signifient les paroles : « Que Ton nom soit sanctifié, que Ton Règne vienne » (Mt 6, 9 s., cf. Or. 59 !) — « joie au-delà de toute autre joie » (Or. 153) et arrhes de la béatitude eschatologique (cf. Ep. fid. 7, 18 s. : 7, 25 s. !).